Lauréats des commissions mécénat
de la Fondation des ArtistesAjouter un lauréat

Depuis 2015, Patrick Bernier et Olive Martin travaillent de manière extensive sur l’histoire complexe du pagne tissé et de sa fabrication au Sénégal. Leur apprentissage auprès du maître tisserand Pepel, Ussumane Ca, a nourri leur projet Le rêve du Paquebot qui évoque le destin de l’Ancerville, vu dans les films La Noire de... d’Ousmane Sembene et Touki Bouki, Le voyage de la hyène de Djibril Diop Mambety. Ce navire, après avoir fait la navette à partir de 1962 entre la France et le Sénégal, a été vendu en 1973 à la République Populaire de Chine. Renommé Minghua – Chine lumineuse –, il a alors été envoyé sur la liaison Chine-Tanzanie pour acheminer le personnel construisant la ligne de chemin de fer reliant Dar es Salaam aux mines de cuivre de Zambie. Aujourd’hui, il est un monument et hôtel de luxe figé dans un quartier polder de Shenzhen. Ce parcours symptomatique, annonciateur d’un basculement géopolitique, invite à considérer avec attention les relations entre l’Europe, l’Afrique et la Chine, l’histoire de la circulation des hommes, des techniques, des matières, de l’iconographie et des formes dont celles des textiles avec leurs motifs. Ici, le tissage manifeste la manière dont chacun est pris dans la toile du monde. Les échanges constants avec Ussumane Ca ont permis de réfléchir à l’histoire de la pratique Manjak du tissage du nord de la Guinée Bissau qui est liée à la colonisation portugaise, à la fonction de ces pagnes (Sëru njaago) parfois talismans, trésors, objets utilitaires, témoins des grandes fêtes familiales, à l’évolution permanente des motifs, aux relations aux commanditaires, aux longs voyages des matières premières, tel le coton sénégalais qui revient aujourd’hui filé de
Chine, mais aussi au rôle des tisserands dans la société urbaine dakaroise.
L’installation au premier étage du musée présente leurs tissages en dialogue avec des objets et des tissus de la collection. En relatant les différentes étapes du projet, elle interroge la nature de la connaissance produite, des modes de recherche, des narrations du monde contemporain. Patrick Bernier, Olive Martin et
Ussumane Ca, après avoir tissé ensemble sur les trottoirs de Guediawaye en 2019, tisseront ensemble à nouveau dans le parc sur un métier à tisser de leur fabrication. Cet acte affirme que l’expérience est au cœur de la pratique (artistique), considérée comme source de rencontre et d’apprentissage par la création d’une situation heuristique rendant explicite les enjeux qui la travaillent tout en revendiquant des dispositifs de partage de connaissance. Ce projet souligne les relations entre savoirs locaux, artisanat et création contemporaine. Il ouvre la question des transmissions, des emprunts, des hybridations entre différents ensembles culturels, joue des rapports entre tradition et modernité, entre savoirs véhiculaires et vernaculaires et montre les renversements permanents de ces catégories elles-mêmes en perpétuel mouvement.